Méthode utilisée pendant des années par les techniciens hygiénistes, l’appâtage permanent des rongeurs est désormais interdit en France. Cette technique consistait à mettre et laisser en place des appâts rodonticides de façon constante. Pourquoi cette méthode a-t-elle été interdite et quelles sont les conséquences pour les techniciens hygiénistes ?
Auteur : Hélène Frontier
On utilise principalement les rodonticides anticoagulants dans le monde entier pour lutter contre les rongeurs commensaux : rats bruns ( Rattus norvegicus ), rats noirs ( Rattus rattus ) et souris domestiques ( Mus musculus ). Ces appâts contiennent un antagoniste de la vitamine K , ou AVK . Cette substance active augmente le temps de coagulation du sang jusqu’au point où le mécanisme de coagulation échoue. Ce phénomène entraîne des hémorragies et la mort de l’animal.
Les substances actives anticoagulantes qui entrent dans la formulation des appâts sont :
En France, l’ appâtage permanent est totalement interdit. Cela date du renouvellement des AMM (Autorisation de mise sur le marché) des rodonticides .
En revanche, au niveau européen, le difénacoum et la bromadiolone sont les deux seules substances autorisées pour les traitements permanents. Mais attention !
Notons également qu’en France, même les molécules non anticoagulantes, comme le cholécalciférol récemment mis sur le marché , font l’objet d’une interdiction en appâtage permanent .
La France a fait le choix de durcir la réglementation européenn e concernant l’utilisation des produits rodonticides AVK . Par conséquent, les traitements permanents sont interdits pour les raisons évoquées ci-après :
Il est toujours possible d’utiliser un anticoagulant comme traitement curatif si le technicien hygiéniste relève une présence avérée de rongeurs (excréments, odeurs, traces de passages, détection visuelle…).
Les nouvelles AMM stipulent donc plusieurs règles d’usage, visibles également sur les étiquettes des différents produits. Étiquettes qu’il faudra obligatoirement lire et respecter…
D’après une communication de la CS3D , voici les principales dispositions des nouvelles AMM rodonticides .
Il est bon de rappeler que l’article L522-16 du Code de l’environnement stipule que « le fait d’utiliser un produit biocide en méconnaissance des conditions prévues par l’Autorisation de Mise sur le Marché » est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.
Il faut savoir que l’interdiction de l’appâtage permanent se superpose avec une fréquence de passage déterminée par les AMM des produits. Les applicateurs devront respecter ces fréquences de passage . Ainsi au démarrage d’un traitement, l’applicateur doit vérifier les postes au bout de 2 à 3 jours pour les souris ou au bout de 5 à 7 jours pour les rats. Par la suite, il devra vérifier les postes au moins 1 fois/semaine.
La CS3D, se saisissant du sujet, a assez rapidement publié quelques recommandations à l’attention des opérateurs de lutte antiparasitaire . Les voici, en substance :
La CS3D préconise de :
Il n’existe pas de solutions directes qui remplacent l’appâtage permanent. C’est d’ailleurs pourquoi la Commission européenne et l’Echa (Agence européenne pour les produits chimiques) autorisent son utilisation dans certaines circonstances dans la plupart des pays de l’Union.
Il existe des solutions alternatives . Elles sont considérées soit moins efficaces, soit plus coûteuses à mettre en œuvre, et parfois les deux. Alors quelles sont ces autres méthodes de lutte ?
Avant tout, il faut disposer d’installations efficaces contre la pénétration des rongeurs . De cette façon, la présence d’un petit nombre de rongeurs à l’extérieur ne présente pas de risque : intrusion, contamination et transmission potentielle de maladies. Il faut inspecter fréquemment et de manière approfondie de toutes les zones internes des bâtiments. Cela permet d’identifier rapidement la p résence de rongeurs dans les zones où ils ne sont pas acceptables.
Les dispositions anti-intrusion sont des solutions de proofing qui empêchent la pénétration des rongeurs. Il s’agit de boucher les trous et colmater les points d’entrée. Il existe également des solutions et dispositifs de répulsion anti-rongeurs .
Les sites sensibles peuvent être victimes des installations voisines où les infestations de rongeurs échappent au contrôle du technicien en exercice. Les rongeurs migrent alors sur le site protégé. Tous les moyens disponibles doivent être utilisés pour contrôler de telles infestations. Les techniciens hygiénistes doivent proposer d’étendre leur programme de contrôle aux locaux et entreprises infestés voisins. Ils doivent conserver des traces si de telles offres sont refusées. Les autorités locales sont habilitées à exiger des propriétaires et des occupants qu’ils prennent des mesures appropriées contre les infestations de rongeurs sur leur propriété.
Des appâts « placebo » ou « de contrôle » sans substance toxique sont désormais largement disponibles. L’utilisation de ces produits peut jouer un rôle utile. Ils indiquent en effet quand et où les rongeurs sont actifs. Ils permettent également de déterminer quelles espèces de rongeurs sont présentes et de prendre les mesures nécessaires.
Cela peut être l’ application de rodonticides si les signes sont ceux de rats. Les souris domestiques se retrouvent rarement à l’extérieur des bâtiments. Par conséquent, si appâts placebo semble indiquer la présence de petits rongeurs, il y a de fortes chances qu’il s’agisse de petits rongeurs sauvages et non de rongeurs nuisibles.
Les sites que l’on surveille avec des produits placebo reçoivent parfois de très rares visites de la part des professionnels. Si c’est le cas, une infestation peut se développer avant que le prestataire puisse intervenir. Il est donc possible d’impliquer un membre du personnel du site. Cette personne vérifiera les points d’appât placebo entre chaque visite du professionnel de lutte antiparasitaire. Les appâts placebo ne sont pas des biocides . Donc aucune formation spécifique n’est requise pour leur utilisation. Cependant, les personnes chargées de vérifier les postes d’appâtage pour rongeurs doivent s’assurer d’avoir des EPI ( Équipement de protection individuelle ) appropriés pour éviter la transmission de maladie. Elles doivent également être capables d’identifier les rongeurs.
Des pièges mécaniques pour rongeurs (tapettes) placés dans des boîtes à appâts permettent de capturer les rongeurs qui y pénètrent. Il est possible aussi d’utiliser des pièges mécaniques à capture unique , ou des pièges multiprises à captures permanentes .
Cette mesure de prévention permet l’identification des espèces avant toute autre action. Il est important de suivre strictement les protocoles de piégeage en ce qui concerne la fréquence des contrôles des pièges. Ainsi les animaux capturés vivants peuvent être tués avec humanité.
Les équipements de télédétection et d’enregistrement de l’activité des rongeurs sont de moins en moins chers. Ils sont également de plus en plus faciles à utiliser. Certaines de ces technologies sont capables de faire des rapports à distance aux techniciens. Sur certains sites, il peut être possible d’utiliser cette technologie pour assurer un suivi de l’activité des rongeurs entre les visites du technicien.
Pour les traitements curatifs, en cas d’intrusion, le technicien peut mettre en place des plaques de glu ou des pièges mécaniques à captures uniques. En cas d’infestation, il pourra mettre en place des pièges multi captures , des dispositifs connectés et des pièges rongeurs connectés .
L’appâtage permanent concerne le plus souvent des endroits où la menace d’infestation par des rongeurs est forte. Cette pratique permet donc de prévenir les infestations de souris et de rats. Elle permet aussi d’éviter toute réinfestation après un traitement curatif . Elle consiste à mettre en place et laisser des appâts rodonticides de manière permanente . Les appâts se trouvent dans des postes d’appâtage protégés, généralement inviolables.
L’appâtage permanent a souvent rempli une fonction de surveillance . En ouvrant et vérifiant les postes, les techniciens constataient s’il y avait eu des consommations d’appât. Ils adoptaient en conséquence les mesures appropriées pour découvrir la cause de l’infestation et la traiter.
La pose d’appâts là où il n’y a pas d’infestation avérée de rongeurs permettait de protéger les bâtiments, les installations et les équipements. L’appâtage permanent visait ainsi à protéger les installations considérées comme présentant un risque d’infestation entre les visites des techniciens. Elle servait donc à empêcher les infestations de se développer. Cela s’inscrivait dans le cadre de la lutte contre les rongeurs menée par de nombreux professionnels de la lutte antiparasitaire . L’objectif était de prévenir l’infestation en premier lieu, plutôt que d’éliminer une infestation nuisible établie. Par conséquent, les techniciens visitaient les installations sous contrat à des fréquences variables, selon les types de contrats.
Les techniciens professionnels de la lutte antiparasitaire ne sont pas les seuls à recourir à cette pratique de l’appâtage permanent. Elle a très largement été utilisée par ceux qui appliquent des rodonticides dans les fermes. En effet, les auditeurs vérifient la conformité à des référentiels qualité concernant la distribution :
Et ils peuvent considérer à tort que l’appâtage permanent avec des rodonticides est une démonstration de conformité. Il en est de même pour ceux qui auditent les exploitations agricoles pour des Régimes d’assurance agricole. Cependant, ces programmes d’audit et d’accréditation n’exigent plus la présence permanente de rodonticides.
De nombreux appâts rodonticides conventionnels, à base de céréales et de granulés, ne se prêtent pas à une utilisation en appâtage permanent car ils se détériorent rapidement. Mais l’introduction de formulations d’appâts à base de blocs de cire ont permis d’utiliser les appâts pendant de longues périodes tout en les maintenant en bon état. Cela explique donc leur utilisation en appâts permanents. Or à l’origine, les appâts rodonticides, dans la mesure du possible, sont à positionner dans des endroits où se trouvent les rongeurs. Il faut les retirer une fois l’infestation terminée.
En effet, dans des circonstances normales, on considère généralement que les rodonticides anticoagulants peuvent éliminer les infestations de rongeurs en 35 jours ou moins. Cependant, des périodes d’appâtage plus longues sont parfois nécessaires. C’est le cas par exemple lorsque :
Un programme d’appâtage peut se poursuivre au-delà des 35 jours afin de contrôler une infestation.
Ce ne serait pas un problème si seuls les rongeurs nuisibles se rendaient dans les points d’appât et prenaient de l’appât. Mais ce n’est pas le cas.
On sait désormais que les petits rongeurs sauvages , tels que les mulots et les campagnols , vont également dans les stations d’appât et consomment de l’appât. Ces proies sont alors exposées aux rodonticides et cette contamination est transmise à notre faune sauvage en remontant la chaîne alimentaire.
Ce ne sont pas seulement les rongeurs sauvages qui entrent dans les stations d’appâtage. Ceux qui les relèvent y retrouvent parfois des fientes d’oiseaux. En effet, certains volatiles, malgré leur réticence, entrent dans les postes et à consomment des appâts. Cela peut expliquer en partie pourquoi nous trouvons des éperviers et des faucons pèlerins avec des résidus d’anticoagulants. Ces oiseaux prennent rarement des proies de rongeurs et se nourrissent presque entièrement d’autres oiseaux pris en vol.
La résistance est la capacité de certains rongeurs au sein d’une population sur le terrain de continuer à consommer de l’appât anticoagulant pendant de nombreuses semaines. Outre la résistance, cette consommation continuellement d’appâts anticoagulants peut s’expliquer par un sous-dosage ou l’immigration. Cependant, lorsqu’on a écarté ces deux alternatives, la consommation continue s’avère souvent due à la résistance aux anticoagulants.
D’après les données du RRAC, des expériences ainsi que les résultats des études en laboratoire et sur le terrain indiquent chez le rat brun ( Rattus norvegicus ) une résistance pratique aux anticoagulants de première génération : warfarine, chlorophacinone et coumatétralyl. On a également mis en évidence la résistance à la bromadiolone et au difénacoum, deux anticoagulants de deuxième génération.
En revanche, toujours sur Rattus norvegicus , il n’existe actuellement aucune preuve de résistance au brodifacoum, à la diféthialone ou au flocoumafen, des composés très puissants, également de deuxième génération.
Les souris domestiques ( Mus musculus ) peuvent être très résistantes à la warfarine et à la bromadiolone.
Chez le rat noir ( Rattus rattus ), il existe un certain degré de résistance à la warfarine.
La résistance aux anticoagulants est un phénomène établi dans les infestations de rongeurs, et ce dans de nombreux pays. Il faut toujours tenir compte de ce phénomène quand on utilise des anticoagulants. Utiliser des AVK contre des populations résistantes ne ferait que propager le phénomène. Il en augmenterait même la gravité. Ainsi, l’appâtage permanent favorise la résistance génétique aux anticoagulants.
Source : CRRU (Campaign for Responsible Rodenticide Use, UK) | RRAC (Rodenticide Resistance Action Committee) | CS3D